Décembre 1998, je travaillais au centre de recherche de l’hôpital Charles LeMoyne et un anthropologue qui œuvrait avec nous, le Dr Raymond Baril, devait nous présenter les résultats d’une étude qu’il avait réalisée dans la région du Lac Saint-Jean.
L’étude portait sur 100 personnes, douloureux chroniques, qui avaient été prestataires de la CSST pendant au moins 3 ans. A la fin de la présentation je remarquai qu’il n’y avait que 98 personnes dans les résultats finaux.
« Raymond, qu’est-ce ce qui s’est passé avec les deux sujets manquants ?
– Ils se sont suicidés … »
Silence dans la salle de réunion.
La douleur chronique est comme une nuit sans sommeil qui ne finit jamais
Les gens qui n’ont jamais vécu l’expérience de la douleur chronique sont toujours estomaqués d’apprendre que celle-ci peut être un véritable calvaire.
Le processus est lent, insidieux, et contamine toutes les sphères de la vie quotidienne.
À travers leur lucarne clinique, les intervenants peuvent à peine apprécier la souffrance invisible de leurs patients. La douleur persistante est un très long marathon. Elle court, elle court et ne s’arrête jamais.
Quelques fois, très rarement, on reçoit une lettre qui nous sort violemment de notre train-train clinique quotidien :
« Mon nom est L. M., j’ai 44 ans, en arrêt de travail depuis plus de deux ans et sept mois. Ce qui m’empêche de travailler, c’est cette douleur qui m’afflige sans arrêt. Le mal m’arrête de vivre comme les autres. J’ai bien essayé de la surpasser, mais peine perdue, elle est toujours là à me suivre comme une ombre.
Cette douleur maudite chaque jour, chaque heure, me suit.
Mes journées passent sans passer.
Je dois constamment changer mes activités en cours de route. Je ne vois pas a court terme quand je serais apte à reprendre ma vie, mon travail, mes loisirs familiaux, mes sport.
Plus le temps avance plus je suis sédentaire. Que je sois assis, debout, ou couché, le mal est là. Cette douleur m’empêche de continuer vers un futur, aussi simple soit-il. Je suis devenue un boulet pour ma famille, pas d’avancement, pas d’enthousiasme, pas de but, extrêmement impatient et arrogant envers les autres : jaloux je crois.
Depuis 22 ans que je vie avec ma femme et 9 ans avec mon fils, jamais auparavant la vie avec eux a été difficile. Maintenant, sans le vouloir, j’explose et je fais mal verbalement.
Depuis que j’ai ce mal de dos brûlant et démoralisant, je ne souris plus et suis vulgaire envers les deux personnes que j’aime le plus.
Au fils des mois des solutions se sont présentées à moi sans succès : physiothérapie, médicament, TENS, ergothérapie et même deux programmes encadrés par des professionnel pour un retour progressif au travail.
Ceci m’a permis de comprendre que j’étais blessé par un handicap car rien n’a fonctionné.
Malgré tout je garde un certain espoir, petit mais là. Cet espoir me garde en vie avec ma femme et mon fils, même si ma vie de couple est ardue a cause de mon handicap.
J’ai besoin d’une vie avec un travail car le travail me manque, c’est une bienfaisance pour vivre.
Mais je suis si fatigué et épuisé.
C’est assez difficile à avouer, mais je ne suis malheureusement plus le même moi qu’avant. »
Et malheureusement, tous les professionnels œuvrant en réadaptation vivront l’expérience déchirante d’un patient ou d’une patiente qui un matin ne se présente pas, et ne se présentera plus jamais. Le dernier contact que l’on aura eu avec notre client sera une lettre, un appel téléphonique, ou pire, un entraînement en clinique où celui-ci semblait un peu différent …
Et la culpabilité du soignant.
Et les semaines de questions qui en fait se résume en une seule question ; aurais-je pu faire quelque-chose ? …
Même les longues années d’université et des décades d’expérience clinique ne nous préparent pas à ça.
On dit souvent aux douloureux chroniques qu’ils doivent apprendre à vivre avec leur douleur.
Certains ont appris à mourir avec.
Solutions
Il existe des solutions pour tous ceux qui souffrent de douleur chronique.
Le plus important, mais le plus difficile, est de faire le premier pas et de chercher de l’aide.
Vous devez ouvrir la porte.
Nous vous accueillerons de l’autre côté …
Autres textes :
- Deux fois plus de détresse psychologique chez les personnes souffrant de douleur chronique
- Pourquoi une douleur devient chronique
- Le lien entre la douleur chronique et la condition physique
- Comment la douleur chronique disparaît
- Comprendre le mécanisme de la douleur chronique peut la diminuer
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La douleur est un enfer que je dois subir depuis 6 ans. Comme je n’ai pas de traitement efficace pour la douleur (la morphine m’aide beaucoup, mais elle m’est refusée, car « cela rend dépendant »), et bien je tente régulièrement de mettre fin à mes jours. A chaque fois je le dis très clairement au médecin de la douleur, au généraliste, au psychiatre et au psychologue. Ils ne font jamais rien. Ils préfèrent que je tente de me suicider, au risque d’y parvenir, que de me donner de la morphine. C’est un choix. Je ne le partage pas. Je mérite de vivre. Et mes proches aussi voudraient que je vive. On se sent vraiment seuls face à vous, médecins, qui décidez pour nous. La douleur est violence, mais quand on demande de l’aide et qu’on ne l’a pas, c’est encore plus violent. C’est sans doute la pire des ignominies que de laisser un être humain dans de tels niveaux de douleurs au point où il ne luis reste plus qu’à mettre fin à ses jours, tellement c’est intenable. D’ailleurs, c’est ce qui précipite le suicide: on supplie de l’aide, et on en l’a pas: « oh vous savez, ça rend dépendant ». Pardon? Quelle honte.
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Chère Géraldine, je ne sais pas où vous en êtes, mais je suis de tout cœur avec vous, d’autant plus que je comprends entièrement ce que vous écrivez. Ma femme souffre énormément elle aussi, au point de parler de suicide très régulièrement. Et malheureusement, je pense que cela ne va plus trop tarder, car jour après jour elle s’épuise, et depuis peu elle a même perdu tout espoir de guérir. Il existe des médicaments qui pourraient peut-être l’aider, mais j’entends encore le dernier médecin lui dire : « on utilise ce traitement en dernier recours », et de lui recommander de faire du yoga, ou de l’autohypnose… je ne sais pas ce qu’il leur faut ! ma femme a des idées très noires, elle pleure tous les jours (et la nuit) de douleur et de désespoir, nous n’avons plus de vie, plus de projet, elle en devient méchante avec moi (mais je ne lui en veux pas)… et il faudrait encore cocher des cases supplémentaires pour avoir droit à un médoc… Comme dit ma femme : « j’ai une maladie dont personne n’arrive à me guérir, je souffre sans arrêt, et c’est encore moi qui vais devoir me taper le sale boulot » (sous-entendu : se suicider)…
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