
Ce matin c’est différent. Je décide de tenter une stratégie qui m’a été enseignée par mon professionnel de la santé : limiter le discours de la douleur. Fini les comptes rendus, c’est moi qui déciderai de m’exprimer lorsque j’en sentirai le besoin. Alors j’accepte son invitation pour tenter le coup.
Je rencontre mon amie et nous asseyons à table. C’est partis :
– Et puis, comment ça va toi?
Je sais très bien à quoi elle fait référence alors je me lance sur un ton souriant :
– Ça va très bien car j’ai du nouveau ! J’ai besoin de rediriger mon attention sur autre chose que ma douleur alors je demanderai à tous de ne plus faire référence à ma douleur. Est-ce que tu peux m’aider?
– Mais bien sûr que je vais t’aider, nous allons tous t’aider!
– Merci de m’encourager, tu es une bonne amie… Raconte-moi ce que tu fais de bon ces temps-ci!
Cela s’est bien passé. J’écoute mon amie raconter les péripéties de son dernier voyage et qu’elle pense suivre un cours pour se divertir, elle ne sait quoi encore : peinture, danse, yoga, elle ne sait pas.
– Et toi? Me lance-t-elle?
– Euh…
Eh non, je ne parlerai ni de près, ni de loin de ce qui concerne ma douleur. Il y a un moment de silence. Je me rends compte que tout à coup, je viens de créer de l’espace en moi. Un grand espace. Un espace où je dois forcément diriger mon regard vers autre chose. Un espace que je devrai remplir. Remplir de nouveauté, d’idées, de ce que j’aimerais faire, de ce qui est important pour moi. J’ai soudainement un vertige en moi et je ressent clairement une envie à ce point-ci de remplir cet espace avec MON discours de la douleur mais non. Je fais l’effort conscient pour garder le cap. Après ce moment de silence et d’hésitation, je me lance :
– J’aimerais bien faire quelque chose d’intéressant en ta compagnie.
– Bien sûr! Qu’est-ce que tu aimes et qui te manque?
– Tu te rappelles lorsque nous allions visiter les galeries d’art? Nous prenions toute une journée et nous visitions toutes ! Il y a si longtemps, ça me manque. Je ne sais pas si….
– …et si nous visitions qu’une galerie, en prenant le temps de s’y asseoir, et nous déciderons ensuite? Ce sera déjà une très belle sortie!
Et c’est ainsi que j’ai tranquillement commencé à remplir cet espace avec des activités qui font en sorte que je me sente plus accomplie. Je m’occupe des gens que j’aime, je fais un peu plus de sorties, j’entame de petits projets simples ici et là qui me plaisent, je prends de petites marches avec mon chien et une voisine, sans parler de ma douleur. Je me suis même inscrite à un cours de dessin avec mon amie. Je lis des livres plaisants qui me font apprendre de nouvelles choses. Je pense moins à ma douleur car on en parle moins. Je me sens plus heureuse et j’ai remarqué que je prends moins de médicaments. J’ai ainsi moins d’effets secondaires alors cela m’aide à me sentir encore mieux.
Je me réveille ce matin et je me retourne dans mon lit pour regarder par la fenêtre, il fait soleil, ce sera une belle journée. Je me surprends à avoir un sentiment de fébrilité en moi – qu’est-ce je pourrais faire de nouveau aujourd’hui?
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